Dans un contexte de transition écologique et de quête de sens, l’artisanat connaît un regain d’intérêt. Valorisé pour sa dimension humaine, locale et durable, il est devenu un symbole d’authenticité. Les consommateurs plébiscitent les objets fabriqués à la main, les savoir-faire transmis, les pièces uniques. Mais cet engouement n’échappe pas aux grandes marques, qui n’hésitent pas à en reprendre les codes… sans en respecter les fondements.
C’est ce que l’on appelle le craftwashing : une stratégie marketing qui consiste à utiliser l’image de l’artisanat de manière trompeuse, pour séduire un public en quête d’éthique, sans changer réellement ses méthodes de production.
Définition : qu’est-ce que le craftwashing ?
Le craftwashing est à l’artisanat ce que le greenwashing est à l’écologie. Il s’agit d’une instrumentalisation de l’univers de l’artisanat à des fins commerciales, sans ancrage réel dans un savoir-faire manuel ou local. En d’autres termes, une marque va mettre en avant un « esprit fait main », un style « brut », ou encore un imaginaire de l’atelier et du créateur, alors que ses produits sont fabriqués industriellement, souvent en très grandes quantités et dans des conditions délocalisées.
Cette approche repose sur un marketing de l’illusion : on vend une histoire, une esthétique, un symbole, mais pas une réalité.
Pourquoi le craftwashing séduit-il autant les marques ?
Parce que l’artisanat est aujourd’hui porteur de nombreuses valeurs recherchées par les consommateurs :
- La durabilité et la qualité
- Le temps et la lenteur, à rebours de la production de masse
- L’humain, l’émotion, la transmission
- L’ancrage local ou régional
- La responsabilité sociale et environnementale
Mettre en scène ces valeurs dans une campagne publicitaire permet d’accroître la désirabilité d’un produit, voire de justifier un prix plus élevé. C’est aussi une façon de s’aligner sur les tendances actuelles (slow life, consommation responsable, retour au local) sans revoir en profondeur son modèle industriel.
Comment repérer le craftwashing ?
Voici quelques indices récurrents :
1. Un vocabulaire flou
Des termes comme « fait avec passion », « inspiré de l’artisanat », « savoir-faire traditionnel », « aspect brut », « esprit atelier » sont souvent utilisés sans preuve concrète. Ils créent un imaginaire, sans engagement réel.
2. Des prix incohérents
Un produit prétendument artisanal vendu à bas prix, dans une grande enseigne, pose question. Le travail manuel implique du temps, des compétences, et donc un coût incompressible.
3. Une production massive et délocalisée
Un objet produit à des milliers d’exemplaires, à bas coût et en flux tendu ne peut être artisanal. Même s’il « imite » l’apparence du fait main, il reste industriel.
4. Une absence de transparence
Aucune information claire sur l’identité du créateur, le lieu de fabrication, les matériaux utilisés. Le storytelling prend le pas sur la traçabilité.
5. Une mise en scène visuelle
Photos d’outils anciens, de planches de bois, de mains au travail, d’ateliers en lumière naturelle… autant d’éléments souvent utilisés pour créer un univers rassurant, mais parfois totalement fictif.
Le vrai artisanat : un engagement concret
L’artisanat repose sur des critères précis :
- Un savoir-faire manuel, souvent certifié ou reconnu
- Une production à petite échelle, parfois à la commande
- Une implication personnelle du créateur ou de la créatrice
- Un ancrage territorial fort
- Une transparence sur les matériaux et les procédés
Ce modèle demande du temps, des ressources, des compétences spécifiques. Il ne peut pas suivre les logiques industrielles de volume et de rentabilité rapide.
Les conséquences du craftwashing
Le craftwashing pose plusieurs problèmes :
- Il trompe les consommateurs, en jouant sur leur désir d’acheter de manière plus responsable.
- Il fragilise les artisans en créant une confusion entre produits authentiques et imitations industrielles, tout en tirant les prix vers le bas.
- Il vide de son sens le mot « artisanal », en en faisant un simple outil de communication.
- Il ralentit la transition vers une consommation plus locale, en maintenant des circuits opaques sous couvert d’éthique.
Comment acheter en conscience ?
Pour éviter de tomber dans le piège, voici quelques réflexes à adopter :
- Demander des précisions sur l’origine du produit, l’identité du fabricant, les techniques utilisées.
- Vérifier la cohérence entre le discours et la réalité (prix, volume de production, lieu de vente).
- Privilégier l’achat direct auprès d’artisans ou de plateformes de créateurs.
- Observer la traçabilité : un artisan véritable est souvent transparent sur ses matériaux, son atelier, son processus de création.
- Valoriser la qualité plutôt que la quantité, même si cela implique un coût plus élevé.
Conclusion
Le craftwashing est une forme de détournement des valeurs de l’artisanat. Il joue sur une esthétique et une histoire séduisante, sans ancrage sincère. Dans un contexte où chaque achat est porteur de sens, il est essentiel de développer un regard critique, de poser des questions et de soutenir les acteurs qui œuvrent réellement pour une production plus humaine, locale et durable.
L’artisanat mérite mieux qu’un rôle de façade. Il mérite d’être vu, compris et soutenu dans toute sa richesse.